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Souvenirs de Parténia — Février 95

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Message par Anthyme Dim 10 Jan 2016 - 12:06

Je viens de terminer un courrier que jamais je n’aurais cru possible d’écrire.

Un courrier destiné à Amarin Brand, archevêque de Strasbourg depuis la visite de Karol Wojtyla en 88 ; ce qui en cette terre concordataire d’Alsace veut dire quelque chose.
Un courrier destiné à un de ces hommes de pouvoir que j’exècre tant !...
Un courrier destiné à un loup !


Le texte est construit à partir de la traduction Segond de 1 Co 13,6 :
« [La charité] ne se réjouit point de l’injustice, mais elle se réjouit de la vérité »


Je n’ai pas conservé la copie de cette lettre.
(Gaillot en a reçue une ; dans la montagne de son courrier de ce début 95.)

De mémoire …

« La connaissance de ce qu’est une injustice est universellement répandue, au moins par ceux qui la subissent.
Il en est donc de même pour la vérité, car si, comme Pilate, on ne sait ce qu’est la vérité ; il est possible de savoir où elle ne peut être : là où il y a injustice.
Or la pire des injustices est le déni de vérité ; qui est la calomnie »


Le ton était donné.
J’y évoquais Gaillot ; disais que l’injustice ne résidait pas, pour lui, dans le fait d’être sanctionné en tant que mauvais évêque, ce qui au contraire l’honorait ; mais …
« d’être présenté à la catholicité vertueuse comme un mauvais chrétien ; ce qui est une calomnie »

Et de faire un parallèle entre l’engagement social de Jésus et celui de Gaillot !

La lettre se terminait par ces mots :
« Je ne souffre pas pour cet homme, car il témoigne ; ni pour les petits peinés et scandalisés de le voir ainsi condamné, car il est plus proche d’eux pour leur apporter l’Esprit consolateur.
Je souffre de vous savoir si sûr de vous. »


C’était la première fois de ma vie que je rédigeais un courrier à caractère … « religieux. »
J’étais là ma lettre en main, je dirais presque … « bêtement » ; car je l’avais écrite sans raison consciente.

Tout ceci me paraissait tellement incongru ; à moi qui suis viscéralement hostile aux « bondieuseries ».
Mais avant d’en faire des confettis, je voulais prendre la température d’un spécialiste.

À ma droite, près de chez moi, un presbytère catholique ; et à ma gauche un presbytère protestant.
Je ne connais ni le curé, ni le pasteur.
J’hésite un instant, car si la logique me commande d’aller à droite ; je ne veux pas placer le curé en porte-à-faux avec sa hiérarchie.
Mais de l’autre côté, pourquoi aller emmerder un pasteur protestant avec des histoires de cathos ?

Bref, après hésitations, j’opte pour le pasteur.

Nous sommes en fin de samedi, la nuit tombe.
J’hésite encore un instant, le doigt sur la sonnette ; et bon … « Ding Dong »

Une femme ouvre ; son épouse.
Elle me fait rentrer dans le vestibule, car il fait froid, mais je sens que je n’irai pas plus loin : elle fait barrage.
« Mon mari travaille, il prépare son homélie de ce soir ! Revenez un autre jour »
J’insiste un peu en tentant de lui expliquer, mais je sens que c’est en vain. J’insiste encore mais cette femme est un vrai Cerbère !
« Désolée … Il n’a vraiment pas le temps ; je peux vous prendre rendez-vous pour … »

Une porte s’ouvre brusquement sur un homme Rabelais, barbu, à la mine un peu bourrue : « Qu’est ce qu’il y a ? »
Je sens que j’ai droit à une phrase, mais pas deux...
« J’aimerais vous soumettre un courrier destiné à Mgr Brand au sujet de la révocation de Mgr Gaillot. »

Un silence … Me regarde … Me jauge … Puis s’approche … prend la lettre que je lui tends … puis lit … toujours en silence.
Je guette les signaux de ses émotions, mais il est impassible.

Il lit lentement, longuement … Les minutes s’égrènent …
J’en suis à me dire que j’ai eu tort de venir chez lui, lorsqu’il tonne à me surprendre ; en me regardant dans les yeux.
« Ça c’est vrai !... Ah ça !... Bon sang, ça c’est vrai … Ça, ils sont sûrs d’eux … Ah, qu’ils sont sûrs d’eux !... »

Devant son épouse contrariée ; il m’invite dans son bureau, encombré d’ouvrages divers.
Il était effectivement en train de travailler, et je le dérange, c’est certain.
Par politesse, je lui propose de venir un autre jour.

« Mais non, mais non …
Il semble hésiter … Me demande si je connaissais Gaillot
« Non ? Vous verrez, il en vaut la peine », et sans s’attarder, me dit l’avoir reçu chez lui, lors d’un repas familial, lorsqu’il était pasteur à Tahiti.

Il hésite, je le sens … Il ne veut pas se livrer à un inconnu …

« Moi aussi j’ai écrit à l’archevêché !... »

Il hésite en silence … Je hasarde une question :

- Brand vous a répondu ?
Cette question stupide le fait réagir.
- Non ! Bien sûr que non ! Je n’ai pas écrit pour avoir une réponse, je l’ai fait pour exprimer mon émotion et ma solidarité … C’est autre chose …

Il hésite encore…
« On m’a reproché de l’avoir fait ! »

Très rapidement, sans entrer dans les détails, il m’informe des reproches que lui a adressés sa hiérarchie.
En langage ordinaire, je dirais qu’il s’est fait correctement souffler dans les bronches, et semble t’il par plusieurs pontes de l’ECAAL.

J’en suis pantois !...
Je lui parle de la réaction à la force surprenante de Jacques Stewart, de la Fédération Protestante, plus marquée encore que celle du Grand-Rabbin Joseph Sitruk.
Je ne comprends pas …

« Oh, mais on ne m’a pas reproché d’avoir écrit !... On m’a reproché de l’avoir fait avec le papier à en-tête de la paroisse… À titre privé, il n’y aurait pas eu de problèmes !... »

(Je ne crois pas lui avoir dit ce que j'en pensais ; mais quelle bande de faux culs !)

Par contre, je lui ai parlé de Ratzinger, alors préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, et âme damnée de Wojtyla. Je me souviens de mes paroles :

« Mais Monsieur le Pasteur, ici, sur cette terre concordataire, une telle réaction est un gage donné au Saint Office.
Je ne comprends pas que les autorités protestantes puissent emboîter le pas de l’église catholique !
Ce que vous me dites là est catastrophique ! »

Et c’est avec de l’amertume dans la voix qu’il laisse tomber :
« Oh … Vous savez … Chez nous c’est pareil !... Chez nous c’est pareil !... Et c’est vrai qu’ils sont sûrs d’eux !...
… Bon sang, qu’est ce qu’ils sont sûrs d’eux ! »

______________________________________

L’élan de solidarité avec ce pasteur m’a déterminé à expédier mon courrier à Brand.
______________________________________

Brand ne m’a jamais répondu !
Pas même une image pieuse me recommandant le jeûne ou la prière !…

Sur ce point, il a eu raison ; car non seulement elle ne m’aurait inspiré ni jeûne, ni prière, mais elle m’aurait surtout vexé :
Pour être franc … Les gens de grande piété m’emmerdent, et qu’on puisse me confondre avec eux me blesse.

Par contre, des explications auraient été les bien venues.
Jeter Gaillot comme une vieille chaussette, ou craquer une allumette sous le bûcher de Giordano Bruno …
L’intensité du drame change, mais le principe reste le même.

Ce sera toujours un grand mystère pour moi, que l’on puisse juger au nom du Christ …
… que l’on puisse rejeter au nom du Christ …
… que l’on puisse tuer au nom du Christ …
… et qu’après tout ça on puisse encore se satisfaire en allumant un cierge et chanter une ritournelle !

Comment peut on à ce point être si sûr de soi ?


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Anthyme
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